Doit-on tout pardonner ?
‘Pardon’, ‘Désolé de vous déranger’, ‘Excusez-moi, je voudrais passer s’il vous plait’, peut-on entendre lorsqu’on prend le métro aux heures de pointe, par exemple. Le pardon semble être, ici, une simple formule de politesse, parmi de nombreuses autres.
Au-delà de la multiplicité de l’usage courant du mot ‘pardon’, qu’en est-il du sens profond et philosophique du véritable pardon ?
Afin d’en mesurer toute sa singularité, commençons par le distinguer de la simple excuse.
A la différence du pardon, l’excuse porte soit sur des maladresses ou des erreurs, soit sur des faits qui, une fois leur rationalité clarifiée, sont finalement compris et acceptés par ceux qui en ont subis les dommages. Par conséquent, dans les deux cas, l’intention de l’auteur des dégâts n’était pas de nuire même si la conséquence s’est pourtant révélée préjudiciable. La responsabilité de l’offenseur a donc pu être relativisée par la compréhension du contexte dans lequel il a agi.
Au contraire de l’excuse, la démarche de pardon concerne des actes malveillants, méchants ou relevant de perversité non refoulée. Les formes extrêmes de tels actes sont atteintes par la figure de la maltraitance, de la torture, du meurtre et de leurs multiples variantes. Avec le pardon, ce sont donc nos valeurs morales les plus ancrées, les plus universelles qui sont ébranlées.
Dès lors, se poser la question de la légitimité du pardon suppose de l’articuler à la délicate question de ce que peut et doit être notre réponse face à l’inadmissible, l’intolérable voire l’inhumain. C’est pourquoi, s’interroger sur ce qui est pardonnable, revient à se demander : face au mal, quelle est la juste réaction ? Y répondre par le pardon, n’est-ce pas banaliser ce mal, voire le cautionner ou, pire, l’encourager ? Impossible de répondre à de telles questions sans continuer à clarifier davantage en quoi consiste précisément le pardon.
Pour la plupart des philosophes occidentaux contemporains, dont André Comte-Sponville dans Petit traité des grandes vertus (1995) ou Wladimir Jankélévitch dans Le pardon (1967), et contrairement aux idées communément véhiculées par le langage courant, pardonner un acte n’impliquerait aucunement l’atténuation ou la banalisation de sa gravité, et encore moins son oubli ou son déni.
Ainsi, philosophiquement, le propre du pardon serait d’abolir la rancune mais non la faute, d’éteindre la colère mais non le souvenir, de faire cesser la haine mais non les nécessités du combat, d’éliminer le désir de vengeance mais non la volonté de justice.
Pardonner serait donc un acte qui consisterait à dire à celui qui nous a fait du mal : je ne t’en veux plus pour des raisons qui m’appartiennent mais qui ne signifient pas, pour autant, que j’ai cessé de désapprouver ton acte. Te pardonner, c’est seulement prendre la décision de cesser de te détester pour ce que tu as fait et, du coup, être libéré de toutes envie de vengeance, libéré d’un passé qui m’aliène.
Ainsi, on pardonnerait non pas parce qu’on finirait par reconnaitre le caractère tolérable du geste subi mais pour diverses autres raisons qu’il s’agira précisément d’éclaircir ensemble lors de cet atelier d’écriture.
Sur quels critères juger le caractère pardonnable ou non d’un acte si ce n’est pas prioritairement sur son degré de gravité intrinsèque ? Que peut-on vraiment pardonner et au nom de quoi ? Pour quelles raisons pardonnerait-t-on ? Pour quels objectifs ?
Peut-on tout pardonner ? Si oui, à quelles conditions ? Si non, pourquoi ? Comment penser l’amplitude du pardonnable ? Existe-t-il de l’impardonnable qui doit être assumé comme tel ?
Pardonner relève-t-il d’un choix ? d’une décision ? d’un processus ? Le maintien de la rancœur peut-elle être parfois préférable au pardon ?
Peut-on seulement examiner ces questions, dans l’absolu, sans s’appuyer sur un exemple de préjudice réellement vécu ? N’est-ce pas, avant tout, à chaque victime d’actes de malveillance de décider de la légitimité, ou non, du pardon face à leur(s) offenseur(s), agresseur(s) ou criminel(s), dans le secret de leur respectable volonté sans avoir à s’en justifier ? Mais dans ce cas, comment penser le pardon quand les victimes ne sont plus là (car elles ont été tuées, par exemple) ?
Par ailleurs, en tant que victime, dois-je parfois me sentir légitimement obligé de pardonner ? Dans quel cas ? Pour quelles raisons ? Le pardon peut-il parfois être vécu comme un juste dû ?
Bref, le pardon suppose-t-il des conditions ? Si oui, lesquelles ? Exige-t-il par exemple une reconnaissance de la faute ? Et que signifie ‘demander pardon’ ?
A partir d’exercices d’écriture aux consignes simples et progressives, chacun sera invité à s’exprimer d’une manière libre et créative sur la manière dont il envisage les conditions et les limites du pardon. L’écriture de ces textes courts sera le support d’une réflexion autant individuelle que collective, autour de nourrissantes et stimulantes questions.

