Qu’est-ce qu’être authentique ?
L’authenticité est souvent présentée comme la voie d’accès à son être profond et, du coup, promesse de bonheur. On ne compte plus les ouvrages de psychologie ou de développement personnel qui utilisent cette notion pour leurs fonds de commerce.
Mais qu’est-ce qu’être authentique ? Quelle est donc cette vertu dans laquelle résiderait l’accomplissement de notre existence ? Est-on authentique de façon spontanée et naturelle ? Ou doit-on apprendre à le devenir par un effort sur soi ? Comment doit-on se comporter pour être authentique ?
Avant tout, clarifions les 3 sens de l’authenticité :
Premièrement, on qualifie d’authentique des objets dont l’origine ou l’auteur sont certifiés : un authentique Van Gogh ou une authentique salade lyonnaise. Ici, l’authentique s’oppose à la copie, à l’imitation, au produit frelaté qu’on juge inférieur à l’original, voire carrément suspect ou dénaturé.
Ensuite, par extension, sera dit authentique ce dont la vérité ne peut être contestée. Le récit de la chute du mur de Berlin ou des attentats de Charlie Hebdo sont des faits authentiques car ils nous racontent des faits qui ont effectivement eu lieu. Ici, l’authenticité s’oppose à la fausseté, et même au mensonge, à l’imposture ; bref à ce qui n’est pas fidèle à la réalité tout en voulant se faire passer pour vrai.
Enfin, le troisième sens est celui qui s’applique non plus à des objets ou des faits mais à des individus. Qu’est-ce qu’une personne authentique ? Il semblerait souvent que nous percevons intuitivement l’authenticité sans savoir à quoi elle tient. Dans un premier temps, on dira que l’on est authentique lorsqu’on est fidèle à soi et qu’on exprime la vérité profonde de son être au lieu d’adopter des attitudes empruntées et artificielles. Bref, être authentique consisterait donc à se révéler tel que l’on est et non tel que l’on voudrait paraitre.
Du coup, l’authenticité n’est-elle pas un synonyme de la sincérité avec un idéal de coïncidence entre l’être et le paraitre, entre la parole et l’action, le tout guidé par notre être intime ? On trouve cet idéal de sincérité chez Montaigne lorsqu’il écrit ses Essais (1580) : « Je veux qu’on m’y voit en ma façon simple, naturelle et ordinaire sans contention et artifice car c’est moi que je peins» Mais Montaigne prend vite conscience que son ‘moi’ n’est pas un objet fixe puisque le travail d’écriture qu’il réalise sur lui-même modifie ce même ‘moi’. Ainsi tout acte de réflexivité sur soi se révèle constitutive du moi. D’ailleurs, « je n’ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m’a fait », finira-t-il par écrire. Mais, si l’auteur a changé au fil du livre, ce qu’il dit de lui n’est-il pas vite périmé, dépassé, faux ? C’est pourquoi nous pouvons également lire, dans les Essais : « Je ne peins pas l’être, je peins le passage. »
Surtout, pour s’observer et s’analyser, il faut se dédoubler : il y a le Montaigne qui écrit, et analyse, d’une part, et le Montaigne qui est décrit, et est analysé, d’autre part. Cette dualité vient-elle donc corrompre tout projet de parfaite coïncidence avec soi-même ? Est-il pertinent, par conséquent, de faire d’une telle coïncidence l’idéal de l’authenticité ?
Si le propre de l’être humain est de se caractériser par la conscience de soi alors, en effet, il n’est jamais ce qu’il est au même sens qu’une table est une table.
A ce propos, lisons Sartre dans l’Etre et le néant (1947) : « Considérons ce garçon de café qui en fait trop : il joue à être garçon de café, il joue avec sa condition pour la réaliser sauf qu’il ne peut l’être au sens où cet encrier est encrier, il ne l’est qu’en représentation pour les autres et pour lui-même, il ne peut que jouer à l’être. Certes, il est garçon de café mais il ne peut l’être sur le mode de l’être ‘en soi’, il l’est sur le mode d’être ce que je ne suis pas »
Ainsi, l’authenticité selon Sartre reviendrait à accepter que nous ne pouvons tirer notre identité d’aucun ancrage fixe. Un être libre, conscient de lui-même, ne peut trouver aucune définition ontologique de lui-même ; ce que nous faisons pourtant régulièrement, ne serait-ce que pour échapper à l’angoisse face au vide, face à notre propre néant. L’existence humaine est un fait originel, premier, inaugural, qui consiste à être jetée dans le monde, puis à se définir progressivement par ses actions, à être telle qu’elle se sera faite. Notre essence, c’est-à-dire notre nature profonde, se réalise donc dans le temps de l’existence, par le faire, par l’action, par le projet.
Ici, l’authenticité semble être surtout une opération réflexive qui consiste à examiner nos actions et désirs en se demandant si on les assume pleinement et si on souhaite continuer à s’y conformer. En ce sens, elle semble proche du concept d’autonomie. Nos actions, réflexions, sentiments ne seraient donc authentiques que si nous pouvons nous identifier sans réserve à eux après avoir réfléchi d’une manière critique à leur contenu et à leur origine. L’authenticité est-elle toujours la conséquence de ce détour critique ? Ne peut-elle pas être, parfois, plus spontanée ? Réside-t-elle toujours dans cette relation du soi à lui-même ? Surtout, la penser sous ce seul angle, n’est-ce pas prendre le risque d’alimenter des postures narcissiques ?
Par ailleurs, faut-il toujours vouloir être authentique pour l’être ? N’est-ce pas plutôt du côté de la simplicité qu’il serait plus sain et pertinent de chercher l’authenticité ? Suivre sa spontanéité, simplement, sans réflexion particulière, faire confiance à ce qui s’impose à soi, à ce qui nous semble le plus évident, à ce qui s’offre à notre intuition sans toujours y voir matière à discours ou à réflexion ; ne serait-il pas le chemin de la véritable authenticité ? Ce serait alors parier sur la simplicité du réel plutôt que sur la force de notre esprit. Ce choix, qui est sans preuve, est peut-être juste le bon sens, mais n’est-ce pas le meilleur des choix ? L’absence de calcul, d’artifices, de composition n’est-ce pas ce qui devrait caractériser l’authenticité ? Celle-ci serait alors l’improvisation joyeuse, le dédain de prouver, de l’emporter, le mépris de paraitre sincère, profond et authentique.
Ou bien est-ce, peut-être, justement au point d’articulation entre réflexivité et simplicité que serait à chercher l’authenticité véritable ? N’est-elle pas alors l’autre nom de l’intégrité, voire de la pureté ? Ainsi, un amour authentique du vrai, du juste, du beau, est un amour pur, c’est-à-dire désintéressé (‘pur’ car non ‘mélangé d’intérêt’). L’authenticité ne serait-ce pas alors l’amour sans convoitise ?
Autant de grandes et belles questions que je vous propose d’examiner ensemble, à travers des exercices d’écriture simples et progressifs, lors de notre prochain atelier d’écriture philosophique.
Caroline BOINON

