Les Intros de Caro

Qu’est-ce qu’une saine colère ?

Qu’est-ce qu’une saine colère ?

Souvent associée à la violence, la colère est objet de méfiance et, la plupart du temps, de condamnation morale. La colère dérange et fait peur : elle est donc stigmatisée.

Honte donc aux colériques en tant qu’ils sont considérés comme ayant perdu le contrôle d’eux-mêmes. Potentiellement dangereux, ils sont souvent invités voire contraints, par leur entourage, à une remise en cause de leur colère pouvant aller jusqu’à une obligation de repentir.  

On pourrait multiplier les exemples de colère qui ont entrainé des effets dévastateurs et condamnables. Citons la célèbre colère d’Achille telle que Homère l’a décrite dans son Illiade : pathétique, elle cause d’innombrables malheurs aux compagnons du héros légendaire. Se transformant en rage, la colère d’Achille entraine un comportement excessif, disproportionné et morbide, faisant obstacle à la réflexion.

Si, en effet, la colère pousse parfois à agir d’une manière violente et impulsive, et donc irréfléchie, au point de nous plonger dans un profond regret dès notre calme retrouvé, est-ce toujours le cas ? Autrement dit, la colère entraine-t-elle toujours des conséquences illégitimes ? Est-elle intrinsèquement l’ennemi de la raison ? La colère est-elle d’une nature nécessairement haineuse ? Suppose-t-elle inévitablement des gestes destructeurs ?

Sophie Galabru dans Le visage de nos colères (2022) distingue la plasticité et la vitalité de la colère de la fixité et la morbidité de la haine. Emotion vivante et évolutive, la colère est une réaction à ce qui est perçu comme une menace, une injustice ou une offense. A ce titre, elle est surtout le signe que certaines de nos limites ont été franchies.  En tant que signal d’alerte, la colère n’est donc ni bonne ni mauvaise. Elle est seulement la réaction du corps face à ce qui est ressenti, parfois inconsciemment, comme un préjudice dont les raisons ne sont pas toujours facilement identifiables. Ainsi, la colère ne serait pas mauvaise en soi mais servirait juste à nous avertir qu’une limite n’a pas été respectée, que quelque chose ne va pas et qu’un changement est nécessaire. N’est-elle pas, du coup, principalement une invitation à opérer ce changement ?

Ainsi, là où la haine enferme et fige, la colère ne permet-elle pas au contraire d’ouvrir et de questionner ? N’est-elle pas, du coup, une force au service de la vie quand elle parvient à être canalisée d’une manière constructive ?

Qualifiée parfois de juste ou de saine (et même de sainte !) il semblerait que la colère puisse être orientée dans un sens très positif. Certains en font même l’outil privilégié du progrès de la justice, et plus globalement, des valeurs morales.

Ceci signifie-t-il, pour autant, que toutes les colères sont légitimes ?

Probablement pas, mais cela signifie peut-être que toutes doivent faire l’objet d’une attention afin d’en cerner les causes pour en déterminer, ensuite, les réponses adaptées et stimulantes car éclairées et nuancées.

C’est pourquoi, parmi les questions fondamentales de l’éthique se pose justement celle de la place de nos différentes colères. Doit-on toutes les traiter de la même façon ? Si oui, comment ? Ou doivent-elles, au contraire, être hiérarchisées et selon quels critères ?

Qu’a donc de commun la colère devant le sort des migrants qui meurent par milliers dans la Méditerranée avec celle que l’on éprouve dans les embouteillages ?

Comment faire de nos colères des forces de création et d’émancipation ? Des leviers de changements autant individuels que sociaux, voire sociétaux ? Dans L’homme révolté (1951), Albert Camus distingue la colère de la révolte. La première est purement impulsive et risque de sombrer dans l’injustice ou la violence aveugle si elle n’est pas régulée par la raison alors que la deuxième est une réponse consciente et constructive à l’absurde. Dans la perspective camusienne, la colère peut être un moteur pour la justice à condition d’être accompagnée d’une exigence éthique et d’une réflexion sur ses conséquences. Ainsi la colère n’est ni à rejeter ni à éviter mais doit être transformée en révolte lucide, créatrice et solidaire en refusant autant la soumission que la destruction. Prenant appui sur une émotion de colère, la révolte à laquelle Camus nous invite ne s’y réduit pas : elle remplace le cri colérique, le grand « non » souvent brutal et radical, par un grand « oui » à nos valeurs les plus fondamentales.  

Surtout, le principal danger de la colère n’est-elle pas au fond son refoulement ? Paradoxalement ce dernier ne mène-t-il pas, tôt ou tard, à une explosion incontrôlée, à un ressentiment persistant, à des tensions chroniques et à une dégradation de l’estime de soi ?

Une saine colère n’est-elle pas surtout une colère qui commence par prendre conscience d’elle-même pour ensuite chercher à identifier puis comprendre quels en sont les déclencheurs ? Qu’est-ce que cette colère dit de moi ? Est-ce qu’une limite a été dépassée ? Quels besoins ai-je besoin de combler pour apaiser durablement ma colère ?

En tant que telle, la colère ne serait donc ni saine ni malsaine. La manière dont nous la gérons peut, en revanche, être une force constructive au service d’une vie plus sereine et respectueuse de soi et des autres ou, au contraire, une fougue agressive au service d’une soif insatiable de vengeance.

Figurant parmi les 7 péchés capitaux des chrétiens, la colère est souvent associée à des représentations et des symboles faisant obstacle à une réflexion en profondeur sur ce qu’elle est véritablement.

C’est avec une approche souhaitant se délester au maximum de tous ses préjugés, une approche humble et nuancée, que nous tenterons d’explorer ce phénomène complexe que représente la colère par le biais d’exercices d’écriture simples et progressifs.

Caroline Boinon

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