Les Intros de Caro

La mort rend-elle la vie précieuse ou absurde ?

La mort rend-elle la vie précieuse ou absurde ?

Aucun sujet n’est plus hautement philosophique que celui de la mort. Aucun sujet ne concerne autant chacun de nous dans sa plus profonde intimité. Aucun sujet présente cette paradoxale caractéristique d’inviter à une réflexion aussi nécessaire qu’impossible : nécessaire puisque toute vie, dès la naissance, en porte la marque mais impossible puisqu’il n’y a rien, dans la mort en tant que telle, à penser. Là est son drame comme son mystère !

Pour simplifier à l’extrême, à la question « qu’est-ce que la mort ? », les philosophes se répartissent en trois camps :

  • Les matérialistes, dans le sillage d’Epicure, disent que la mort n’est rien (un néant, une dissolution totale définitive du vivant) ;
  • Les idéalistes, dans la continuité de Platon, affirment qu’elle n’est qu’un passage vers une autre vie, aux formes aussi diverses que les différentes croyances qui lui sont associées.
  • Les agnostiques, à la suite de Pyrrhon d’Elis, prennent en considération toute la dimension mystérieuse et opaque de la mort en affirmant qu’on ne peut absolument RIEN dire de la mort ; pas même qu’elle n’est rien !

Pourquoi alors réfléchir à une question à ce point impensable ? Peut-être parce que toute notre vie en dépend, comme le pense Pascal : on ne vivra pas de la même façon, selon qu’on croit ou non qu’il y a « quelque chose » après la mort, ou que notre ignorance laisse ouverte la question.

 Surtout, quelle que soit la diversité des représentations de la mort en tant que telle, personne ne peut raisonnablement contester la certitude que notre vie actuelle -débuté à notre naissance- aura un terme. Etrangement, il semblerait que beaucoup d’entre nous se contentent d’une conscience abstraite de cette réalité jugée pourtant incontestable et évidente mais …. trop banale, ou trop vaine, pour en faire l’objet d’un véritable sujet de réflexion. Souvent, nous préférons donc y penser le moins possible et vivre comme si comme si la mort n’était qu’un phénomène lointain, peu significatif, extérieur à notre vie, bref sans grande importance. Ainsi, la plupart du temps, « nous savons que nous allons mourir mais nous n’y croyons pas » écrit Vladimir Jankélévitch.

Comment donc expliquer une telle attitude ? Est-ce pour se protéger de l’inévitable effroi que provoque une véritable prise de conscience de sa propre mort à venir ? Est-ce par peur de sombrer dans une posture d’aquaboniste ? Est-ce par crainte de découvrir la face vaine et absurde de tout ce à quoi on accorde de la valeur ? Bref, pourquoi prenons-nous généralement si peu le temps de penser en profondeur ce que l’inéluctabilité de sa propre mort signifie vraiment pour soi ? Qu’espérons-nous en refusant de prendre au sérieux notre mortalité ? Le déni de cette incontestable réalité nous ferait-elle gagner en légèreté ? En liberté ? A quoi pourrait-on mesurer qu’un individu l’a réellement prise en compte ?  Ne tomberait-il pas dans un état de sidération mettant en danger son équilibre mental ? 

Pourtant, avoir conscience de sa propre mortalité, n’est-ce pas précisément ce qui caractérise l’être humain, et le distingue en propre des autres animaux ? Comment la pensée de sa propre mort peut-elle nous aider non seulement à intensifier notre existence mais également à construire un sens véritablement connecté à ce que nous sommes réellement ? Apprendre à accepter sa propre mort, n’est-ce pas la véritable définition de la sagesse, de la liberté ? Mais est-ce seulement possible ? Surtout, n’est-ce pas l’épreuve la plus difficile qui soit dans une vie humaine ? Probablement ! Mais, peut-être, est-elle également la plus belle car la plus apte à nous éclairer autant sur la vérité que sur le mystère de notre être profond.

Comment penser le sens fondamental de la vie humaine sans prendre en compte sa dimension mortelle ? Quelle juste place doit-on faire au célèbre ‘memento mori’ dans la quotidienneté de nos vies ?

A chacun donc de cheminer sur cette question et d’en mesurer l’impact sur sa vie. En quoi la certitude de notre mort influence-t-il nos choix ? Nos émotions ? Le sens de nos actions ? Bref, notre manière de vivre ? Cette certitude a-t-elle plutôt le goût amer de l’absurde, du ‘plus jamais’, du néant glaçant ?  Ou bien plutôt, le goût pimenté de l’unicité de chaque instant, l’intensité du primultisme , la valeur des choses rares, éphémères et fragiles ?

Tant que la mort est considérée comme un concept lointain, un événement abstrait, un indéterminé à l’échéance floue ou une simple tête de mort sur un pull fantaisie ; il est assez facile d’éviter l’angoisse : « on » meurt mais ce « on » n’est personne en particulier, et surtout pas ce ‘moi’. Nous pouvons poursuivre nos impératifs familiaux, professionnels et sociaux, sans même frissonner, et demeurer ainsi dans notre pleine insouciance jusqu’à ce qu’elle nous frappe, d’une façon ou d’une autre (souvent en commençant par celle de très proches) comme un drame imprévisible qui nous percuterait de l’extérieur, comme s’il s’agissait d’un accident, d’une contingence…

Pourtant, éviter d’éprouver notre propre finitude, comme un élément constitutif de notre être, n’est-ce pas prendre le risque de passer à côté de l’essentiel de ce qui nous constitue ? Pascal comme Montaigne pensent, chacun à leur façon, que la conscience lucide de notre mortalité nous donne un accès plus direct à la question du sens de notre existence. Accepter d’éprouver l’angoisse de la mort nous détournerait des occupations futiles et vaines. Une angoisse que Martin Heidegger qualifie, non de morbide, mais au contraire de hautement fertile puisque c’est à partir d’elle que nous parviendrions à construire un rapport authentique autant à soi, qu’aux autres et au monde.

Si nous ne mourions pas, la vie serait-elle à ce point précieuse, rare et bouleversante ? Le mot ‘mortel’, d’ailleurs, dans la bouche de certains devient paradoxalement positif (synonyme de génial). Beau clin d’œil qui nous rappelle que la vie n’a pas besoin d’être immortelle pour être grande et belle mais que son importance vient, peut-être, justement de la conscience que cela ne durera pas toujours. Or, cette conscience est précisément le propre de l’homme. Ainsi dans la Grèce antique, les hommes étaient désignés ‘les mortels’, non parce qu’ils étaient les seuls à mourir (les animaux meurent aussi) mais parce qu’ils sont les seuls à en avoir conscience à ce point, si longtemps à l’avance ! 

Ainsi, « une pas assez constante pensée de la mort n’a donné pas assez de prix au plus petit instant de ta vie » nous prévient André Gide en 1897 dans Les nourritures terrestres. « Si tu veux aimer la vie, si tu veux l’apprécier lucidement, pleinement, n’oublie pas que le mourir en fait partie. Accepter la mort -la sienne, celle de ses proches-, c’est la seule façon d’être fidèle jusqu’au bout à la vie telle qu’elle est, telle qu’elle passe (…) La mort n’est rien ? peut-être. Mais nous savons que nous mourrons, et ce savoir-là, au moins, n’est pas rien. (…) » lui répond en écho un autre André …  Comte-Sponville

Ensemble, à travers différents exercices d’écriture, simples et progressifs, nous essayerons d’apporter quelques modestes éclairages puisés autant dans nos expériences que de nos réflexions à ces grandes et belles questions.

Caroline Boinon

Quand sera programmé ce sujet ?