Les Intros de Caro

A quoi doit-on être fidèle ?

A quoi doit-on être fidèle ?

Avant de pouvoir se demander à quoi nous devons être fidèle, commençons par clarifier le concept de fidélité.

Tout d’abord, il s’agit de la distinguer de l’exclusivité à laquelle elle est souvent confondue. Être fidèle à ses amis, ce n’est pas en avoir qu’un. Être fidèle à ses idées, ce n’est pas se contenter d’une seule. En matière amoureuse, malgré l’usage ordinaire mais inexact du mot, rien n’empêche deux époux de se rester fidèles même en l’absence d’exclusivité sexuelle. Tout dépend de ce qui « fait couple » pour eux. Être fidèle à l’autre, c’est être fidèle à ce qui constitue la valeur de ce qui les lie.  Un couple peut considérer que l’exclusivité sexuelle est fondamentale pour être fidèle à leur conception de l’amour. Mais si le mépris s’installe entre eux par exemple, ou si la maltraitance détruit leur amour, peut-on légitimement continuer à considérer qu’ils sont fidèles à leur couple, fidèles l’un à l’autre sur le seul motif qu’ils n’ont pas enfreint la règle de l’exclusivité sexuelle ?

 La fidélité semble donc, avant tout, être contenu dans la promesse que l’on se fait de ne pas oublier ce qui compte vraiment pour soi. La fidélité est donc la marque que quelque chose a de l’importance au point de prendre un engagement : celui justement de se donner les moyens de faire perdurer ce qu’on a élu comme ‘essentiel’ et de le protéger, autant qu’il nous est possible, de l’usure du temps.

« Avec le temps va, tout s’en va » nous chantait Léo Ferré en 1970 pour nous rappeler que le temps, force de dissolution, finit toujours par tout effacer, le pire comme le meilleur. L’impermanence, l’inconstance et l’oubli seraient donc la loi ultime du réel, de la nature et du vivant. Parmi ce dernier, l’humain a une spécificité : une faculté de mémoire, certes limitée mais existante, qui lui permet de lutter contre l’oubli.

Alors, avant que la disparition de tout ce qui fut ait le dernier mot (au fil des changements et morts successives), la fidélité nous permet de faire preuve de « vertu de mémoire » ou de « vertu du même » pour reprendre des expressions d’André Comte-Sponville dans son Petit traité des grandes vertus (1995). Certes, on ne cesse de changer mais on peut reconnaitre certains éléments du passé, constitutifs de son histoire, comme les siens au point de souhaiter continuer à les considérer comme tels à l’avenir.

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 Ainsi, si la fidélité est comme un devoir de mémoire, reste à savoir mémoire de quoi puisque ce n’est pas la fidélité, en elle-même, qui est vertueuse mais le lien qui l’attache à un objet moralement estimable.  En effet, n’oublions jamais que « la fidélité dans la sottise serait une sottise de plus », comme nous le rappelle avec autant d’humour que de profondeur Vladimir Jankélévitch dans son Traité des vertus (1986).

Il ne s’agit donc pas d’être fidèle à n’importe quoi. La fidélité, en tant que telle, ne vaut rien indépendamment de ses objets. Par conséquent, la fidélité doit donc être proportionnelle à la valeur de ce à quoi elle est attachée. C’est pourquoi, toute la question de la fidélité consiste à se demander : à quoi doit-on être fidèle ? A soi ou aux autres ? A ses valeurs ou à son désir ? A son passé ou à ses projets ? A la parole donnée ou à sa liberté intérieure ? etc.

Une des grandes difficultés de la fidélité est précisément que l’ensemble des objets auxquels elle est attachée entrent sans cesse en concurrence les uns avec les autres. Se demander à quoi être fidèle revient donc à hiérarchiser tout ce à quoi nous aimerions être fidèle sans pour autant le pouvoir en raison des contradictions indépassables que cela entrainerait.

Par ailleurs, même en imaginant que l’on parvienne à un consensus intérieur permettant cette si délicate hiérarchisation entre nos différentes fidélités, nous n’aurions pas réglé le problème une fois pour toutes !

En effet, la fidélité n’est pas immobilité mais engagement réfléchi envers ce qui mérite d’être maintenu. Toute la difficulté est donc que cet engagement, justement par qu’il est réfléchi et éclairé, peut évoluer au fur et à mesure que les éléments du contexte dans lequel il avait été pris initialement évolue. Rigidité et reniement semblent donc être les deux ‘écueils’, situés chacun à une extrémité, que la fidélité doit éviter pour rester, pourrait-on dire, ‘fidèle à elle-même’ 😊 Trop absolue, la fidélité risque de perdre ce qui en constitue son sens et devenir opiniâtreté, passéisme, fanatisme ou servitude. Mais, à l’inverse, trop relative, elle risque de se renier et, par une trop forte versatilité, s’autodétruire.

Comment trouver la ligne de crête entre ces deux extrêmes que sont l’entêtement excessif ou mal ajusté, et l’inconstance voire l’inconsistance ? Parfois, nous nous battons pour un projet, et tentons de lui être fidèle, en dépassant toutes les difficultés rencontrées sur le chemin de sa réalisation, pour s’apercevoir, une fois bien avancé dans sa concrétisation, qu’il nous correspond finalement assez mal ; réactivant une nouvelle fois la question : à quoi doit-on être fidèle ?

Ensemble, à travers différents petits exercices d’écriture, simples et progressifs, nous essayerons d’apporter quelques modestes éclairages puisés autant de nos expériences que de nos réflexions sur cette grande et belle question.

Caroline Boinon

Quand sera programmé ce sujet ?