Les Intros de Caro

Douter est-il une faiblesse ?

Douter est-il une faiblesse ?

Souvent associé à un manque de confiance en soi, le doute peut sembler être la marque des personnes peu sûres d’elles. A première vue, douter caractérise une position plutôt inconfortable ; signe de notre embarras, de notre perplexité, de notre hésitation face à ce qui nous reste obscur, équivoque, flou, irrésolu… Ainsi, douter ne serait pas un acte volontaire mais, au contraire, un état subi à la douleur proportionnelle aux enjeux en présence !

Haro donc sur le doute ? Ayons confiance en nos jugements ! Cessons de nous tourmenter avec nos incertitudes ! Osons nous affirmer tels que nous sommes ! N’est-ce pas le mantra principal de tous les bouquins de développements personnels, les mauvais comme les bons ?

Et quand le doute persiste, n’est-il pas le signe que nous avons besoin d’aide ? Besoin de faire de nouveaux apprentissages afin de trouver les moyens de le dissiper par la voie de la certitude, de la confiance et de la sérénité qui en découle ?

Les hommes libres et autonomes, comme les savants et les sages, se reconnaitraient-ils donc à leurs absences de doutes, à leurs certitudes enfin conquises ?

Pourtant, quel jugement porterions-nous sur une personne qui ne douterait jamais d’être sur le bon chemin, qui serait toujours certaine d’être dans son bon droit ? Dans le juste ? Dans le vrai ?  Ne trouverait-on pas qu’elle donne un parfait exemple d’arrogance, d’aveuglement, voire de sottise ?

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Réfléchir sur le doute, c’est interroger le rapport entre doute et certitude : sont-ils dans des rapports d’opposition ou bien parvient-on, au contraire, à des certitudes qu’en acceptant de passer par des étapes de doutes méthodiques et renouvelés ?  Commencer par douter, n’est-ce pas le point de départ de toutes pensées qui souhaitent faire preuve de discernement et construire progressivement ce qu’il convient de tenir pour vrai ? C’est à une telle démarche que nous invite autant René Descartes, en 1637, dans son célèbre Discours de la méthode que des épistémologues tels que Karl Popper (1902-1994) ou Gaston Bachelard (1884-1962) : le premier nous rappelle que le critère de la vérité scientifique est précisément la falsifiabilité (cf. texte ci-joint), le second développe longuement en quoi« la vérité est une série d’erreur rectifiée ».

 La possibilité de la certitude serait donc limitée à des énoncés extrêmement précis et qui, eux-mêmes, ne progresseraient qu’en cherchant, sans cesse, à se soumettre à de nouvelles vérifications qui en dévoileraient d’éventuelles approximations ou erreurs initiales.

Loin d’être une faiblesse, le doute semble donc être, au contraire, l’élément indispensable de toute démarche qui veut se doter de garanties de fiabilité, de confiance et de prudence.

Que penserions-nous, en effet, de quelqu’un qui croirait trop facilement ce qu’on lui dit, sans faire preuve d’esprit critique ou de discernement ? Ne considérerions-nous pas, à juste titre, qu’il s’agit de naïveté, voire de bêtise ?

D’ailleurs, l’acte même de philosopher ne commence-t-il pas justement par la pratique quasi-systématique du doute, comme nous l’enseigne Socrate ? Ainsi, « si l’opinion est du genre du cri » écrit Platon dans Philèbe, peut-être commence-t-elle à devenir une pensée, une réflexion, précisément lorsqu’elle se met à douter d’elle-même …

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Y aurait-il donc un bon et un mauvais doute, comme il y a un bon et un mauvais cholestérol ? Et, si tel est le cas, comment les distinguer ? La question est-elle peut-être surtout de savoir dans quelles circonstances le recours au doute est souhaitable, voire indispensable ? Dans quel cas, au contraire, nous rend-il vulnérable ?

Ainsi, si la capacité à interroger nos évidences, à se remettre en cause, à douter de soi-même, est parfois nécessaire et salutaire, elle peut également nous fragiliser, voire nous détruire, lorsque cela devient une entreprise d’autodestruction.

Par ailleurs, si le doute n’est pas une faiblesse en soi, il peut peut-être le devenir lorsqu’il fait obstacle à l’action, à la mise en mouvement, à la prise de décision.

D’autre part, qu’en est-il lorsque le doute prend des allures de méfiance ? Dans quels cas, celle-ci peut-elle être considérée comme une prudence légitime à l’égard d’autrui ? Dans quels autres cas, peut-elle être, au contraire, le signe d’un recroquevillement inquiétant, d’un assèchement de notre force vitale, d’une posture excessivement défensive liée à une réelle fragilité de la part de celui qui en fait preuve ?

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Ainsi, face au doute, les extrémités semblent être à éviter : d’un côté, son excès qui peut parfois aller jusqu’à nous tenter de douter de tout ; d’un autre côté, son déficit dont la forme extrême serait de ne plus douter de rien. Dans les deux cas, cela invaliderait la valeur de la pensée elle-même ; et ceci, qu’elle qu’en soit son contenu.  Entre ces deux extrémités, quel est donc son juste dosage ?

Ou, plus précisément, de quoi devons-nous douter, au juste, autant pour se donner les moyens d’une pensée nuancée, éclairée, et éclairante que pour nous orienter correctement dans nos choix ? Ces questions sont le miroir d’autres interrogations qui leur répondent en écho : à qui et à quoi pouvons-nous accorder notre confiance : à notre raison ? à notre intuition ? à nos émotions ? à nos proches ? à la science ? aux religions ? à la philosophie ?

L’art de douter ne nécessiterait-il pas, finalement, un véritable apprentissage afin d’en faire l’outil d’une pensée autant constructive que bienveillante et créative ?

A l’appui de ces questions, je vous propose de réfléchir ensemble à l’immense richesse que représente l’acte de douter : véritable vertu, notamment lorsqu’il est au service de la recherche de la vérité et de l’action juste ou bonne ; ou réelle faiblesse, voire outil de destruction, lorsqu’il est livré à lui-même et se prend pour une fin en soi, alimentant toutes sortes de nihilisme. 

Caroline Boinon

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