Les Intros de Caro

La connaissance de soi passe-t-elle par l’expérience de la solitude ?

La connaissance de soi passe-t-elle par l’expérience de la solitude ?

« Les heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion, sans obstacle et où je puisse véritablement être ce que la nature a voulu » nous écrit Jean-Jacques Rousseau dans Les rêveries du Promeneur solitaire (1782). Selon cette approche rousseauiste, se préserver des instants réguliers de solitude est un préalable nécessaire à un rapport authentique à soi-même. Délivrés de nos masques sociaux et loin de toutes influences extérieures, de tels moments nous ouvrent la possibilité de nous connaitre en profondeur.

Dans ses Essais (1580), notamment dans le chapitre « De la solitude », Montaigne explique que se retirer du tumulte du monde permet de se retrouver soi-même, et de créer les conditions d’un dialogue avec soi-même. La force de Montaigne est de nous inviter à trouver cette solitude même quand on n’est pas forcément isolé physiquement. La solitude intérieure est perçue, ici, comme une forme bien particulière de rapport à soi. Comparable à une introspection, ce type de solitude permet à l’individu d’analyser ses pensées, ses émotions et ses expériences sans les distractions extérieures.

Si autant Rousseau que Montaigne illustrent les vertus de la solitude pour accéder à ce que l’on est véritablement, il convient ici de souligner qu’il s’agit dans les deux cas de solitude choisie et à la durée limitée. En cela, elle n’est ici associée ni à un manque ni à une absence mais au contraire à une présence à soi propice à l’exploration de ce qui constitue notre singularité. Être seul, en ce sens, c’est se donner les moyens d’entendre sa propre voix. Et pour cela, il ne suffit pas d’être physiquement seul : travailler seul un exercice de math ou jouer seul à des jeux vidéo ne permet aucune introspection. Celle-ci exige une forme d’inactivité. C’est pourquoi l’ennui, longtemps perçu négativement, est désormais conseillé par de nombreux psychologues, comme un vide fertile qui nous rend plus apte à écouter ce qui vient de l’intérieur. Ainsi définie, la solitude devient un laboratoire intérieur où l’on découvre ce qui, en soi, cherche à s’exprimer.

Le dénominateur commun à l’ensemble de ces approches est de faire d’une solitude choisie un moment de confrontation avec soi-même qui est le meilleur moyen d’accéder à une véritable connaissance de sa singularité. 

Si la pertinence de cette approche peut paraître incontestable au premier abord, est-ce si évident ?

Est-on toujours les plus lucides sur soi-même ? N’est-on pas toujours prisonniers de nos biais cognitifs qui altèrent, à notre insu, notre perception de nous-même ? Ne sommes-nous pas toujours tentés de nous raconter des histoires flatteuses ou partielles de nous-même ?

Autrement dit, puis-je être à la fois sujet et objet de ma propre connaissance ? N’est-ce pas toujours, au contraire, le recours à un regard extérieur qui nous permet de nous dévoiler ce que nous sommes vraiment ? En effet, l’importance de la médiation d’autrui pour nous révéler ce que nous ne pouvons pas voir de nous-même a été tellement de fois démontrée qu’il parait aujourd’hui être un lieu commun de le rappeler.

Dans Soi-même comme un autre (1990), par exemple, Paul Ricoeur montre que toute connaissance de soi est médiée par le détour de la figure de l’autre. Or, cet autre peut être une personne mais aussi le langage, les récits, la culture… Nous n’avons donc jamais accès à soi d’une façon directe et immédiate mais par le biais d’interprétations, de dialogues, de reconnaissances mutuelles.  Ainsi, selon Ricoeur « le ‘soi’ ne se comprend qu’en se racontant, et le récit de soi suppose toujours d’autres voix ». Ici, autrui est beaucoup plus qu’un simple miroir : c’est un « médiateur herméneutique », c’est-à-dire un autre qui nous aide à interpréter notre propre expérience.

A l’appui de cette approche ricœurienne, peut-on penser que la connaissance de soi n’a finalement pas besoin de passer par l’expérience de la solitude ? N’y a-t-il pas le risque alors de se dissoudre dans le regard d’autrui ?  Mais sans autrui ne prends-je pas le risque de m’enfermer dans l’illusion de la transparence à moi-même ?

Ne serait-ce pas alors dans le va-et-vient entre intériorité et altérité que se constitue une connaissance de soi véritable ? Autrement dit, la connaissance de soi ne naît-elle pas justement de cette double exigence d’intimité et de relation ?

Ensemble, à travers différents petits exercices d’écriture, simples et progressifs, nous essayerons d’apporter quelques modestes éclairages puisés autant de nos expériences que de nos réflexions sur ces grandes et belles questions.

Caroline Boinon

Quand sera programmé ce sujet ?