Les Intros de Caro

La sagesse est-elle dans l’acceptation de ses propres limites ?

La sagesse est-elle dans l’acceptation de ses propres limtes ?

« La philosophie, le droit, la médecine, (…), j’ai étudié tout à fond, avec ardeur (…). Voici 10 ans que je promène mes élèves par le nez, et je vois que nous ne savons rien ! Cela me brûle le cœur ». Voici ce que gémit Faust face au constat que son érudition ne lui dévoile ni la vérité absolue ni le sens de la vie. Poussé par le désespoir provoqué par les limites indépassables de la connaissance humaine, Faust conclut le fameux pacte avec Méphistophélès, le diable, pour accéder à un savoir absolu au risque d’y perdre son âme. Faisant écho à la tragédie du mythe de Prométhée autant qu’à celui d’Icare, c’est ainsi que Goethe dans son chef d’œuvre de 1832 illustre la funeste destruction qu’entraine la non-acceptation de ses propres limites.

Renoncer au désir de toute-puissance serait-il donc l’essence profonde de la sagesse ?  Loin de nous résigner, et encore moins de nous humilier, accepter nos propres limites serait la marque de notre lucidité sur nous-même et de ce que l’on est en droit d’attendre de notre rapport au réel. 

La philosophie grecque s’est d’ailleurs construite, dès son origine, comme une réponse à la démesure ou plus précisément à ce que les grecs nommaient l’hybris – c’est-à-dire le dépassement orgueilleux des limites humaines, le refus de la finitude.

Ainsi, à côté de la célèbre formule « Connais-toi toi-même », inscrite sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes, on pouvait également lire : « Rien de trop ». Ces deux maximes résument l’esprit de la sagesse grecque avant même que Socrate en fasse le point de départ, autant que la visée, de sa quête philosophique. La connaissance de soi est, ici, une invitation à la connaissance de ses limites qui n’est en rien une réduction de son être mais, au contraire, une forme de lucidité active, féconde et libératrice qui permet de penser et d’agir avec justesse.

Ainsi, même « la vaillance [doit avoir] ses limites, comme les autres vertus : lesquelles franchies, on se trouve dans le train du vice » souligne Montaigne, dans ses Essais (1580).

 Il semble donc, non seulement, incontestable que le respect de nos limites soit une condition essentielle de la sagesse mais cela parait même relever d’un lieu commun. Bref, se demander si le respect de ses limites est un élément constitutif de la sagesse, n’est-ce pas vouloir enfoncer une porte ouverte depuis l’origine de la philosophie, soit plus de 2000 ans ?

N’est-ce pas tout simplement le bon sens le plus basique qui nous indique à quel point le respect de ses propres limites est nécessaire à son équilibre psychique. Mais si ce point parait incontestable, au point de pouvoir être considéré comme un pragmatisme élémentaire, est-ce pour autant l’élément le plus essentiel de la sagesse ? Autrement dit, s’il parait incontestable que la sagesse nécessite la reconnaissance de ses limites, notamment lorsqu’elles sont évidentes et clairement identifiées comme le sont, par exemple, certaines de nos limites physiologiques, cognitives ou psychologiques, peut-on néanmoins en conclure qu’il s’agit là de la clé de voûte de la sagesse ?

Rien n’est moins sûr.

Avant de pouvoir accepter ses limites, encore faut-il correctement les connaitre ! Le chemin de la sagesse, en effet, ne consiste-t-il pas surtout dans une quête active du contour véritable de l’ensemble de nos limites qui sont, pour beaucoup d’entre elles, floues, mouvantes, masquées par l’orgueil, l’ignorance ou les illusions sur soi-même ?  Surtout, il ne suffit pas de se résigner, une fois pour toute, à ses imperfections, à ses manquements, à ses inaptitudes, voire à ses petitesses, mais d’adopter une posture d’enquête critique sur soi pour découvrir, petit à petit, toute l’étendue de nos capacités et, simultanément, celle de nos réelles inaptitudes sans oublier, par ailleurs, celle de nos devoirs.

Ainsi, il semblerait que ce ne soit pas l’humilité en elle-même qui soit une marque de sagesse mais ce qu’elle permet dans notre rapport à soi et au monde. L’humilité serait donc au service de la sagesse quand, loin d’entrainer un renoncement à l’action, une passivité teintée de bonne conscience, elle alimenterait au contraire le moteur d’une démarche active, une démarche d’exploration de nos possibilités réelles qui sont, de surcroit, en perpétuel mouvement.

Davantage que dans la simple acceptation de nos limites, la sagesse ne se situerait-elle donc pas plutôt au cœur de cette tension entre désir de dépassement et nécessité de mesure et de modération ? Or, entre ces deux pôles, comment espérer trouver le point d’équilibre sans passer par un travail de discernement, afin de saisir avec justesse l’étendue réelle autant du possible que du souhaitable ? Être en capacité de réaliser telle ou telle action ne la rend, en effet, pas souhaitable pour autant. C’est pourquoi, la sagesse ne peut se contenter de cerner les limites du possible sans s’intéresser à celles, encore plus impactante sur le plan éthique, du souhaitable.

Quoi qu’il en soit, une posture de sagesse ne peut être réduite ni à une simple acceptation des limites du possible ni à une pure évaluation du souhaitable. Si ces deux mouvements participent de l’effort de sagesse, ils ne l’épuisent pas pour autant.  La sagesse est un idéal qui ne peut se laisser baliser si facilement. Laissons à Marc-Aurèle le soin de nous donner un aperçu de sa dynamique interne qui échappera toujours à sa mise en mot : « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé, le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre » écrit-il dans Pensées pour moi-même (180 après JC)

Que l’acceptation de ce qui, après un examen attentif, ne dépend pas de nous participe de ce qu’il convient d’appeler « sagesse » ne fait probablement pas de doute. C’est ce qu’on pourrait appeler son premier pilier. Mais si la sagesse est l’idéal de la philosophie depuis son origine, c’est probablement parce qu’elle est beaucoup plus que cela. Une fois cerné le champ des possibles (et, du même coup, de l’impossible), encore faut-il identifier le souhaitable d’une part et se mettre en mouvement pour le réaliser d’autre part : n’aurait-on pas, là, les deux compléments indispensables au premier pilier ?

A partir d’exercices d’écriture aux consignes simples et progressives, chacun sera invité à cheminer, d’une manière libre et créative, le long de ces profondes et fécondes questions.

Caroline BOINON

Quand sera programmé ce sujet ?