Les Intros de Caro

Que peut-on attendre de l’art ?

Que peut-on attendre de l’art ?

Dans notre société, l’art occupe une place complexe et polyvalente.

Avant toute réflexion sur l’art, il convient préalablement de s’entendre sur sa définition. Qu’est-ce donc que l’art ?

La diversité de ses formes est tellement grande qu’il semble difficile de trouver un consensus permettant de distinguer ce qui relève véritablement de l’art de ce qui est, au contraire, un simple mode d’expression personnelle plus proche du témoignage, voire de l’exutoire, que du véritable art.

Par ailleurs, ce qui est considéré comme de l’art à une époque peut ne plus l’être à une autre ; et des créations initialement rejetées peuvent se hisser, au fil du temps, au statut de chefs-d’œuvre.

Comment donc cerner la spécificité de l’art avec un grand A, au-delà de la variation de ses formes ?

Selon Hegel, l’art serait la manifestation sensible d’une idée pure ; autrement dit une incarnation (à travers une présence sensorielle) d’une sorte d’absolu inaccessible par la seule rationalité. L’art serait donc l’expression d’un besoin de l’esprit de s’objectiver sous une forme perceptible par nos sens, principalement la vue et l’ouïe. 

En tant que l’esprit contiendrait une force intuitive toujours plus vaste que sa seule capacité à expliquer scientifiquement le monde, il aurait besoin de mettre en forme ses intuitions. Précisons ici que celles-ci ne prennent pas nécessairement la forme d’une affirmation ou d’une vision du monde mais peuvent être, au contraire, l’expression d’un doute, d’un étonnement, d’un émerveillement, d’un questionnement ou encore d’une spiritualité. Dans tous les cas, selon cette approche hégélienne, retenons qu’au-delà de leur immense diversité, les œuvres d’art expriment toujours une composante essentielle de la condition humaine.  En ce sens, l’art aurait pour objectif de nous dévoiler une vérité sur nous-même et sur notre rapport au monde mais qui échappe à notre compréhension purement intellectuelle.

Ainsi, si le plaisir esthétique peut faire partie des buts possibles de l’art, il ne semble pas suffisant à le définir pleinement. En effet, « il y faut autre chose, (…). Quoi ? L’humanité elle-même, en tant qu’elle s’interroge sur le monde et sur soi, en tant qu’elle cherche une vérité ou un sens, en tant qu’elle questionne ou interprète, en tant qu’elle est esprit » nous écrit André Comte-Sponville dans Le plaisir de penser (2015).

Dans l’art, on pourrait donc dire que l’esprit, en tant qu’il est une conscience de soi et du monde, est comme rendu à lui-même, délivré de ses buts habituels visant l’utilité, la puissance, la maitrise, les connaissances.

 Si telle est la particularité de l’art, alors nous ne pouvons qu’en souligner le caractère fondamental pour l’humanité. Et si l’art nous est si essentiel, que pouvons-nous réellement en attendre ? Remarquons, ici, que l’utilisation du verbe pouvoir renvoie à deux significations distinctes. D’une part, il s’agit de se demander ce qu’il nous est possible d’attendre de l’art au regard ce qu’il est véritablement (principe de réalité). D’autre part, il convient de s’interroger sur ce que nous avons le droit d’en attendre (principe éthique).

 A première vue, cette question peut étonner tant il est vrai que ce qui caractérise l’art est précisément d’être une fin en soi. Par conséquent, le simple fait de se demander ce qu’on peut en attendre semble trahir l’essence même de l’art. Le seule réponse légitime serait alors : « justement, rien du tout ! Et c’est précisément cela qui en constitue toute la noblesse ». Pourtant, admettre que l’art ne doit ni être instrumentalisé ni être réduit à un simple statut de moyen, ne signifie pas pour autant qu’il ne contient aucune promesse, aucun espoir, aucune potentialité intrinsèque.   De quoi l’art est-il donc riche ? Que nous est-il permis d’espérer grâce à lui ? De quoi nous rend-il capable ? Bref, autant de façon de se demander ce que l’on peut en attendre une fois que l’on en a saisi toute la dimension non utilitarisme et non instrumentale.

L’art peut-il, par exemple, contenir une puissance transformatrice, et parfois salvatrice, ou n’est-il qu’un simple divertissement teinté de noblesse ?

Peut-il nous sauver de la dérive nihiliste en nous connectant à ‘plus grand que nous’, et nous ouvrir ainsi à une sorte de respiration spirituelle ou est-il illusoire de l’espérer ?

Et puis, si rien ne peut nous sauver du mal, de la mort et de la condition humaine, l’art peut-il au moins soulager nos angoisses en ravivant notre capacité d’émerveillement et l’intensité de l’« exister » ? Peut-il nous protéger du désespoir ?

Ou bien, l’art peut-il nous permettre d’accéder à un imaginaire différent de celui que l’on mobilise ordinairement ? à d’autres subjectivités que la nôtre ? à de l’altérité ? à une intimité avec le monde ? à une manière de vivre plus poétiquement ? Peut-il nous protéger autant de la vulgarité que de l’ennui ?

Par ailleurs, dans un tout autre domaine, l’art peut-il apaiser les tensions sociales et favoriser la cohésion sociale ? L’art peut-il réparer des liens sociaux abimés, voire en créer de nouveaux ? Peut-il être la marque d’une appartenance à un groupe social, à l’exclusion des autres ?

Bref, que peut-on attendre de l’art ?

Peut-on aller parfois jusqu’à en attendre une révélation, un dévoilement du sens ultime de l’existence ? Ou est-il surtout l’expérience, tout aussi impactante, du mystère de l’Etre et de son absence explicite de sens ?

Enfin, est-il plus simplement une célébration de l’instant, du fragile, de l’éphémère, du subtil, de l’ineffable ? Bref du « presque rien » et du « je ne sais quoi » pour reprendre les célèbres expressions de Vladimir Jankélévitch.  En ce sens, l’art n’est-il pas surtout ce qui souligne autant la grandeur que la dimension à la fois tragique et mystérieuse de l’expérience humaine ?

Ensemble, à travers différents petits exercices d’écriture, simples et progressifs, nous essayerons d’apporter quelques modestes éclairages puisés autant de nos expériences que de nos réflexions sur ces grandes et belles questions.

Caroline BOINON

Quand sera programmé ce sujet ?