Les Intros de Caro

S’épanouir dans son travail. Un leurre ?

S’épanouir dans son travail. Un leurre ?

Evoquer l’idée de travail entraine deux types de réactions diamétralement opposées :

  • Pour les uns, ce terme appelle des images teintées d’estime voire d’admiration : celles par exemple de l’artisan amoureusement penché sur son ouvrage, du sportif exigeant et persévérant dans sa pratique quotidienne ou du musicien répétant sans relâche ses gammes pour conserver sa virtuosité.
  • Pour les autres, ce mot évoque au contraire la pénibilité d’un labeur aliénant, parfois dénué de sens au point d’en paraître brutal voire violent. Synonyme d’abrutissement, on évoque souvent le Charlie Chaplin des Temps modernes pour l’illustrer.

Ainsi au vocable « travail » est associée une polysémie de sens qui désigne, tour à tour, autant des activités quasi-idylliques évoquant l’ascèse, le dépassement de soi et l’épanouissement humain que des activités, au contraire, quasi-diaboliques désignant la contrainte, la rudesse voire l’asservissement.

Au-delà de cette apparente contradiction, quelle est donc l’essence véritable du travail ?

Peut-être, pourrait-on commencer par se demander en quoi le travail se distingue de l’emploi. Souvent considérés à tort comme synonymes, ils désignent souvent, tous les deux, la manière dont nous gagnons de l’argent pour a minima subvenir à nos besoins et, au-delà, améliorer nos conditions de vie. Travail et emploi signifient pourtant des réalités très différentes. L’emploi est une forme bien spécifique de travail qui vise à produire des biens ou à fournir des services contre une rémunération ou un profit.  Ainsi, l’emploi est formalisé par un contrat de travail qui définit des droits et des obligations entre employeur et employé, incluant le salaire, les horaires de travail, les conditions de travail, les tâches et/ou les missions à accomplir, etc.

Par conséquent, si tout emploi suppose la réalisation d’un travail, l’inverse n’est pas vrai pour autant. Tout travail ne s’effectue pas nécessairement dans un contexte d’emploi : citons, pour exemple, le travail domestique ou le travail bénévole.

La notion d’emploi étant clarifiée, procédons de même pour le travail. Qu’est-ce donc que ‘travailler’ ?

Pour Hegel, philosophe allemand (1770-1831), le travail est d’abord une transformation, un effort pour modifier et maitriser son environnement afin de répondre à nos besoins tels qu’ils ont été théorisés par Abraham Maslow, psychologue américain (1908-1970), et sa célèbre pyramide (cf. textes joints). Dans l’approche hégélienne, le travail est surtout un acte de médiation entre l’homme et le monde :  le travail permet à sapiens de mieux prendre conscience de lui-même en donnant une matérialité, une extériorité à ses idées.  Ainsi, lorsque j’observe mon travail, je peux admirer l’idée qui existait jusque-là seulement dans mon esprit. C’est la raison pour laquelle il peut être si satisfaisant de produire soi-même quelque chose en transformant la nature : cela nous permet de concrétiser ce qui existait seulement de manière abstraite dans notre seul mental. Il est, certes, plus fatigant d’aller pêcher un poisson et de le faire griller au feu de bois que de l’acheter dans une barquette micro-ondable, mais il est souvent stimulant et épanouissant d’opérer soi-même une action de transformation.

Bref ! Le travail est certes un effort souvent pénible mais il permet à l’homme de dépasser son état animal et de prendre conscience de ses idées en les matérialisant dans le réel. L’activité animale s’effectue de façon instinctive, comme la réponse programmée à une situation donnée. L’homme, à l’inverse, n’a pas en lui de schémas aussi précis de comportements innés : il est donc obligé d’inventer une solution, plus ou moins satisfaisante, puis de la mettre en œuvre par son travail. Cela implique donc que le travail favorise le développement des facultés intellectuelles déjà existantes en les stimulant, mais aussi en permettant la formation de nouvelles aptitudes.  

Dans cette perspective, n’est-ce pas essentiellement de notre capacité à travailler que découle toute l’histoire de l’humanité ?

En tant qu’il actualise un projet, le travail ne se loge-t-il pas, consciemment ou non, au cœur de tout véritable épanouissement humain ou, peut-être même, ce qui en constitue la condition principale ?

Si tel est le cas, comment expliquer que le travail soit si souvent ressenti comme une servitude abrutissante, à l’exact opposé de la figure de l’épanouissement ?

Lorsqu’on associe le travail à un avilissement, ne le confond-on pas avec ses différentes modalités d’exercices ? Est-ce l’essence même du travail qui est abrutissante ou est-ce sa réduction à des tâches répétitives et/ou dénuées de sens ? Ce que Karl Marx appelle « l’aliénation » de l’ouvrier désigne précisément la privation de la capacité de se reconnaitre dans le produit de son travail : son activité ne reflète donc plus l’entièreté de ses aptitudes humaines, et encore moins de sa créativité.

Ainsi, l’organisation du travail en tâches spécifiques et répétitives augmente considérablement la productivité, certes, mais fait perdre le sens de ce qui est produit. Or cette logique de parcellisation du travail domine aujourd’hui tous les secteurs d’activités professionnelles à travers nos logiques généralisées de process qui dépossèdent les salariés de leurs autonomies intellectuelles et créatives.  

Ainsi, s’épanouir au travail semble théoriquement possible mais suppose des conditions qui ne sont pas toujours, loin s’en faut, réunies. Quelles sont ces conditions ? Dépend-il de nous de les faire exister lorsqu’elles ont disparu ? Si oui, comment les faire advenir ? Si non, comment continuer à vivre sereinement cette obligation de travailler pour vivre ?

A l’appui de ces questions, et de beaucoup d’autres qui naîtront de nos échanges et de nos exercices d’écriture, simples et progressifs, je vous propose de cheminer ensemble au sein de l’immense richesse de réflexion que revêt la notion de travail, considérée dans son articulation avec la notion d’épanouissement.

Caroline BOINON

Quand sera programmé ce sujet ?