Qu’est-ce qu’une spiritualité laïque ?
A première vue, parler de « spiritualité laïque » peut sembler contradictoire dans les termes, voire résonner comme un oxymore, en raison des définitions traditionnelles de ses deux composantes.
Historiquement et étymologiquement, la spiritualité (du latin spiritus, qui signifie souffle, esprit) est profondément liée au domaine du sacré, de la religion et du transcendant indissociable de croyances en un « Au-delà ». Dans ce sens classique, la spiritualité est par définition religieuse, et donc non-laïque.
Quant à la notion de laïcité, sur le plan philosophique, elle se fonde sur la raison, l’éthique humaniste et l’autonomie de l’individu par rapport à tout dogme ou autorité religieuse. Le laïque est donc, par définition, ce qui n’est pas religieux.
Une spiritualité laïque serait donc, contrairement aux spiritualités traditionnelles, une spiritualité non-religieuse : comment donc la définir ? A quelles réalités concrètes de nos vies est-elle associée ?
Dans un premier temps, on pourrait commencer par caractériser la spiritualité laïque par une démarche de connexion intérieure et d’élévation personnelle qui ne repose ni sur la foi en une divinité, ni sur un ensemble de rituels prescrits par une autorité religieuse. Elle n’est pas une substitution à la religion, mais une alternative qui se concentre sur l’expérience, l’intuition sensible, en tant qu’elle se sent dépassée, et parfois traversée, par quelque chose de plus grand que soi, que ce soit la beauté d’une symphonie ou l’immensité du cosmos, sans que cela implique une entité surnaturelle. Elle met souvent l’accent sur le rapport direct, intuitif, à soi et au monde. Le sentiment d’émerveillement face à la complexité de l’ADN ou aux mouvements des planètes peut, ainsi, nourrir une spiritualité laïque en nous faisant éprouver la part de mystère, paradoxalement perceptible, que conserve le réel. Et ceci, quoi que puisse en connaître l’ensemble des sciences dont le champ est, pourtant, de plus en plus étendu et les productions d’une époustouflante et croissante précision.
Une démarche spirituelle semble donc accessible à toute conscience qui éprouve la part irréductible de mystères qui demeure toujours dans une démarche de questionnement du monde. Par exemple, la vertigineuse question leibnizienne « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » ne trouvera jamais de réponse scientifique. A ce titre, elle peut ouvrir un espace de réenchantement spirituel qui savoure la profondeur de nos questions métaphysiques. La spiritualité laïque ne consisterait-t-elle donc pas, avant tout, à jouir de certains de nos si éblouissants ‘pourquoi’ sans vouloir, à tout prix, leur répondre des ‘parce que’ ?
Ainsi, la spiritualité laïque ne serait-elle pas surtout faite de ces questions sans réponse qui permettent de construire un rapport au monde sur un mode sensible et poétique, libéré de la volonté stérile de vouloir comprendre et maitrisé ce qui, par nature, ne peut l’être ? Les nombreux « pourquoi » de notre enfance seraient ainsi, peut-être, les principales sources vives auxquelles nous pouvons puiser l’essence si vivifiante d’une spiritualité laïque qui ne se laisse pas enfermer dans des dogmes et des croyances toutes faites.
Si la spiritualité laïque se nourrit essentiellement de nos questionnements existentiels et métaphysiques fondamentaux, n’est-elle pas principalement la visée de l’essentiel ? La recherche d’une profondeur dans notre rapport à soi, aux autres, au monde et à la nature ? Bref, le besoin de relier l’existence à une dimension qui ne se réduit pas ni à l’utilitaire ni à la rationalité scientifique ?
Et dans ce cas, par quelle voie s’y engager ? par des méditations orientales ? du yoga ? des expériences esthétiques ? par la contemplation d’œuvres d’art ? un rapport plus artisanal et brut au réel ? une quête éthique ? un questionnement philosophique, chaque jour, renouvelé ? par l’amour et ce qui nous lie à autre que soi ? la joie profonde qui nous fait éprouver la ‘magie’ d’être ‘juste vivant’ ? par certaines marches silencieuses au milieu de la nature ou au cœur d’une foule manifestant pour une noble cause ? l’humilité d’un dévouement face à quelqu’un qui souffre ? un plongeon dans l’immensité de l’océan ? par une larme à la lecture d’un texte de Shakespeare ? un chagrin, à jamais inconsolable, au décès d’un proche ? une écoute attentive du silence ? par une émotion métaphysique en admirant un coucher de soleil ?
Quoi qu’il en soit, contrairement aux spiritualités religieuses, la spiritualité laïque s’enracine moins dans des certitudes que dans des interrogations. Elle semble, en effet, avant tout relever d’une expérience de l’incertitude quant au sens de l’existence, incertitude qui n’est pas un manque à combler mais une condition de possibilité de la recherche. Trop souvent, cette quête d’essentiel est laissée aux religions instituées, et parmi elles, aux formes les plus rigides qui prétendent clore le questionnement par des dogmes indiscutables, terreau d’intolérances et, parfois, des pires violences. Dans nos sociétés sécularisées, et désormais laïques, il semble urgent de ne pas laisser la question de la spiritualité aux seuls fondamentalistes religieux de tous bords, ou aux marchands de démarches sectaires.
Si la soif humaine de sens ne peut trouver à s’étancher que dans un rapport spirituel au réel alors il semble indispensable, peut-être même vital, que les non-croyants s’interrogent sur la forme qu’ils souhaitent lui donner. Comment construire cette dynamique proprement spirituelle, qui se nourrit de l’ignorance reconnue et de l’humilité acceptée ? Voilà peut-être un des défis de notre époque qui semble, malheureusement, trop souvent partagée entre nihilisme désolant et fondamentalisme effrayant.
Quel est son propre rapport spirituel au réel ? Voilà donc, peut-être, la première question à se poser pour quiconque souhaite répondre à la question : « Qu’est-ce qu’une spiritualité laïque ? » A partir d’exercices d’écriture aux consignes simples et progressives, chacun sera invité à réfléchir au sens qu’il souhaite donner à cette si belle notion de « spiritualité laïque » afin de la rendre pleinement vivante, et peut-être même vivifiante.
Caroline Boinon

